Saint Jean de la Blaquière

Le Patrimoine

Souvenirs d'eau

Récit recomposé à partir des propos de Gilbert et Pierre Cros,
sur leur enfance à Saint-Jean de la Blaquière pendant les années cinquante
(transcription par Bernard Derrieu, 23 janvier 2002).



Les jours de chaleur

Quand le soleil tape, ici, il tape fort. Tout le monde cherche l’ombre et la fraîcheur. C’est pour cette raison que nous avons beaucoup de souvenirs à propos de l’eau, même s’il n’y a pas d’importants cours d’eau sur la commune.

Dans le village, l’eau était d’abord présente à la fontaine de la place de la République, qu’on appelait « la pile ». Le mot « pila », en languedocien, désigne l’abreuvoir, en pierre taillée, où venaient boire les chevaux comme ceux de Blaquière : ces chevaux étaient assez dangereux parce qu’ils étaient entiers (non castrés). La jument de Nouguier allait à la fontaine du Barry.

De l’autre côté de la place, nous prenions au puits l’eau fraîche qui permettait de mettre au frais la bouteille d’eau ou de vin, enveloppée dans un sac en toile de jute. De la même façon, au café Donnadieu, les bières restaient au frais suspendues à l’intérieur d’un puits aménagé au rez-de-chaussée de cet établissement. Chacune des maisons donnant sur l’actuelle rue de la Fontaine possédait son puits, creusé dans la nappe phréatique située à cet endroit.

Les jours de chaleur, ma mère me disait: « Si tu n’es pas sage, tu iras jouer dehors ! »

Mais sortir n’était pas toujours une punition, puisque même en plein été, dès le début de l’après-midi, nous allions jouer à la rivière. L’eau était notre seule distraction.

Le temps du Pschitt et des bitchanes

La boisson des vacances était le Pschitt orange, un plaisir auquel nous ajoutions d'autres consommations plus expérimentales comme les premières cigarettes. Ou bien, si nous n'avions pas de Gauloises, nous allumions des bâtons de "bitchanes", c'est-à-dire des morceaux de liane sèche. Une fois, l'un d'entre nous a même essayé de fumer une pipe qu'il avait bourrée de crottin de cheval sec: les yeux lui sortaient de la tête…

Nous fréquentions plusieurs sites: la Cartarenque, les Conques, le Moulinier, le Mas, les ponts... Nous ne parlions jamais de Marguerite, de Verdanson (en réalité c'est un " Merdassou ", comme à Montpellier), ou de Maro, qui sont les noms véritables des ruisseaux.

Depuis cette époque, les rivières ont changé. Elles semblent encore plus modestes, peut-être parce que l'eau est captée en amont.

La Cartarenque, sur le Verdanson, allait de la Fontbasse, au confluent de la Marguerite, jusqu'au pont noyé. La Fontbasse était une source où l'on puisait l'eau en la faisant monter par une pompe à main, que l'on amorçait avec une boîte métallique.

Pour se baigner, nous partions au Moulinié, ou au Mas, sur la rivière de Maro. Nous allions au Moulinié par un chemin quittant la route de La Rouquette: il y avait là un "gourg" de deux mètres de profondeur. Quant au Mas, sur le Maro, il se situe entre Saint-Jean et Le Viala.

Les enfants de huit ou neuf ans allaient de préférence aux Conques, où il n'y avait pas beaucoup d'eau.

Pour apprendre à nager, ou du moins à flotter, il y avait aussi les "tannes", ces bassins qui retenaient l'eau en quantité suffisante pour faire fonctionner les moulins. Nous utilisions surtout la tanne du moulin à huile, en face du château, de l'autre côté de la rivière. Mais l'eau y stagnait, et on en sortait avec de la vase autour du cou. Elle était alimentée par une canalisation à ciel ouvert, un béal, où nous nous amusions à faire naviguer de petits bateaux dont l'hélice tournait avec un élastique. Nous y installions aussi des moulins, fabriqués avec des joncs.

Une autre tanne existait à l'ancien moulin à blé de la Charité, mais nous n'y allions pas en confiance parce qu'il se racontait, à son sujet une mystérieuse histoire de noyade.

Histoire du noyé de la tanne, au moulin de la Charité

Une femme avait un fils. Celui-ci était somnambule. Une nuit, lorsque sa mère dormait, il se leva et marcha jusqu'à la tanne du moulin de la Charité. Là, il se glissa dans l'eau profonde et, alors qu'il ne savait pas nager, il traversa le bassin pour revenir, toujours dormant, tranquillement jusqu'à son lit.
Au matin, la mère s'écria : " Mon pauvre fils, comme tu es mouillé !… Que t'est-il arrivé ?… " - Mais le fils n'avait rien à répondre.
La nuit suivante, la même aventure lui arriva.
La troisième nuit, la mère décida de rester éveillée pour comprendre le phénomène.
Lorsque le fils se leva, elle le suivit jusqu'au moulin de la Charité. Quand elle le vit plonger dans la tanne, la pauvre femme ne put s'empêcher de crier: "Malheureux, que fais-tu ?…" A ce cri, le fils se réveilla, soudain effrayé lui-même de se voir en si grand danger. Il hurla: "Mère, je me noie !…". La mère, sous l'effet de la panique, se mit à courir vers le village pour demander secours. Hélas, lorsque l'aide arriva, il était trop tard: le fils s'était noyé.

La Pêche

La chose la plus sérieuse, c'était la pêche. Du moins pour les enfants, car aucun pêcheur sérieux, adulte, ne venait lancer sa ligne dans les ruisseaux de Saint-Jean. Par ici, il n'y a pas de poissons intéressants. Les hommes venaient bien chercher quelques anguilles, mais pour eux, il était plus sérieux de chasser ou de braconner. Le braconnage restait le même depuis la nuit des temps: on posait des pièges, des "tioudelles".

Pour la pêche à la ligne, nous n'avons jamais disposé d'autre hameçon qu'une épingle à nourrice tordue. En fait, nous connaissions d'autres techniques. Nous pratiquions la pêche "à la bourre", ou à la masse. Cela consistait à frapper un caillou de la rivière d'un grand coup de masse: la vibration étourdissait nos victimes, et pendant les trois à cinq secondes qui suivaient, nous n'avions qu'à prendre à la main les petits poissons "estabourdis" destinés à finir en petite friture. Parfois, dans cette confusion, s'offrait aussi une couleuvre, pour notre grande joie.

Sur le même principe, certains se servaient d'une bouteille de bière Phénix pour bricoler un explosif: ils la remplissaient, au quart, de sable mouillé, ajoutaient une pierre d'acétylène, et la plaçaient, fermée, dans l'eau. Au contact de l'humidité, l'acétylène se transformait en gaz qui, au bout d'un moment, faisait exploser la bouteille.

Au pont de la Marguerite, nous tirions à la fronde sur les grenouilles, avec les agates de nos jeux de billes. Les grenouilles se chassaient également "à la luminade", c'est-à-dire remontant la rivière en les éblouissant avec une lampe Wonder, celle "qui ne s'use que si l'on s'en sert"…

La Chasse

Finalement, c'est à la rivière que nous avons commencé à chasser. Nous fabriquions des arcs avec des "amarines", c'est-à-dire des bâtons d'amarinier, et des flèches avec la fleur des "bozes", ou marteaux (joncs à hampe marron). Nous utilisions aussi les bouchons en liège, piqués d'une aiguille à coudre, en guise de munitions. Enfin, au moment des foires, nos parents nous rapportaient quelques cartouches de 9 mm.

Le long des ruisseaux, nous ne rencontrions aucun adulte. Avant les vendanges, certains venaient laver leurs comportes à la tanne… Et vers 1955, sous la municipalité Nouguier, des lavoirs ont été construits sur la Marguerite, au pied du château, mais ils n'ont pas beaucoup servi.

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