La Maison Familiale 2
La rue de la Fontaine s’appelait autrefois la rue « daï griffou », à cause d’une nappe souterraine qui s’y trouvait, tout le long. Chacun chez soi faisait un trou. Nous avons été les derniers à faire le puits, en été 1954. Mon père ne pouvait pas supporter de nous voir sans rien faire, alors nous avons décidé de faire un puits pour y garder les choses au frais. Nous avons creusé un trou de trois mètres, et l’eau était monté, comme ça. C’était un trou au ras du sol, qui aurait pu être dangereux, et donc, par la suite, nous l’avons scellé. Dans d’autres maisons, c’était un puits bâti, fermé par un couvercle.
Chaque maison avait son puits. On tirait de l’eau pour mettre les bouteilles au frais, dans un seau, ou bien on y suspendait les aliments dans un garde-manger, pour les conserver au frais et par la même occasion les préserver de l’appétit des rats. Nous nous servions aussi de paniers en zinc, dans lesquels nous placions les bouteilles : quelquefois ces paniers tombaient, et vingt-cinq ou trente ans plus tard les bouteilles étaient retrouvées lors d’un nettoyage de puits… mais toutes ne s’en trouvaient pas forcément bonifiées !…
Chacun des deux bistrots avait aussi son puits. Ensuite ils ont eu des glacières, puis des réfrigérateurs. En 1955, mon père a acheté, à son tour, le frigidaire : c’était donc le troisième du village.
Nous avions aussi l’eau du puits communal, sur la place de la mairie. Celle-là, nous en buvions, alors qu’elle montait sans doute de la même nappe. Ce grand puits a servi de réfrigérateur pour tout le village... Et depuis que les réfrigérateurs sont arrivés, tous les puits sont fermés.
L’eau potable, nous allions la prendre à la « pile », c’est-à-dire à la fontaine-abreuvoir, sur la place. Jusqu’aux années 1950, l’eau de la fontaine venait de « Pié Bouissou ». Ensuite les canalisations se bouchées, il n’y avait pas suffisamment d’eau pour le village qui en demandait de plus en plus. Alors la commune a acheté à Galibert la source de Berthomieu, pour la capter, la pomper et la mettre dans les bassins que nous avons à Laparrot, d’où elle descend en gravitation.
Dans la maison, il y avait une immense cheminée où l’on pouvait placer une chaise (le « cantou ») de chaque côté. On mettait trois châtaignes dans la braise, on faisait sauter des graines de courge tout en racontant des histoires.
Et puis c’était une époque où il y avait souvent des pannes d’électricité. L’électricité nous venait de Ganges. Il suffisait qu’il y ait un orage, du vent, et pim, pam, pouf !… Rien ne tenait : on avait trois ou quatre jours de panne. Alors on achetait, à l’épicerie, le pétrole par dix litres, et on se baladait avec les petites lampes. Et quand on avait mangé, on allait au coin du feu, on racontait quelques couillonnades, et puis on allait au lit.
On avait une grande « brasière », qui servait d’abord à se chauffer sous la
table, et qu’on faisait ensuite suivre un petit peu dans toutes les chambres pour réchauffer
les chemises de nuit ou les pyjamas. Et on se couchait dans des chambres glaciales : en 56,
l’urine a gelé dans les
« pissadous ».
La cheminée a été transformée quand mon père a commencé d’installer, sous la cape, la cuisinière à bois. Ensuite arriva la gazinière Far, puis la machine à laver Thermor, avec un batteur. En 1955, c’était fabuleux !… Mais on n’avait toujours pas l’eau courante : on continuait d’aller la prendre à la fontaine. L’eau dans les maisons, on ne l’a eue que vers 1959 ; et le tout à l’égout un petit peu après.
Avant la machine à laver, j’ai connu la « bugadière », qui venait faire la lessive à la cendre… Quant au lavoir public, il a été fait sur le bord de la rivière, près du château, dans les années 1960. C’était surtout pour rincer, parce que l’eau des fontaines était très calcaire, tandis que celle de la rivière était plus douce et rinçait beaucoup mieux. Les femmes préféraient rincer au lavoir, du moins aux beaux jours.
Le surnom des « fanfarons » nous a été donné par ceux qui n’étaient pas de Saint-Jean. Ce sont les autres qui nous ont appelés comme ça. On entendait : « Ils sont de Saint-Jean ? Oh, ça ne m’étonne pas, ce sont des fanfarons. » Peut-être parce qu’on parlait plus haut que les autres, ou bien on faisait des choses que les autres ne faisaient pas mais qu’ils auraient aimé faire…
Les gens de Loiras, c’étaient « lous barra-portas » : ils n’étaient sans doute pas plus méchants que les autres, mais les portes, ils préféraient peut-être les garder fermées. A Salelles, ce sont « lous cambas routges. » Pour Saint-Privat, il y avait un petit dicton : « Saint-Privat lou désolat, las fourmigas l’ount mangat. » Pour les Salces, il faudrait demander aux gens de Saint-Privat… parce qu’ils se font la gueule depuis toujours.
Quand on dit « cave », cela veut dire cave à vin : le lieu où l’on faisait le vin, avant la coopérative. Les petites caves n’avaient que des foudres de cinquante hectos, pas plus. Certaines remises ont servi de caves, mais elles n’en étaient pas vraiment. Dans une cave véritablement bâtie pour faire du vin, il y avait des foudres de 130 hectos.
Le vin était vendu en vrac. Les gens remplissaient des bouteilles au fur et à mesure de leur consommation, en utilisant les bouteilles de limonade vides (avec bouchon en porcelaine entouré de caoutchouc, accroché au verre par du fer).
Les barriques de vin restaient dans la cave, calées sur des socles. ça se piquait tant que ça voulait, parce qu’on ne faisait pas du vin avec des œnologues, à ce moment-là. Je me rappelle que chez mon grand-père, j’ai toujours bu du vin piqué… Enfin, pour lui, il n’était pas piqué !… Alors on y mettait du Saint-Yorre, et ça l’améliorait un peu. C’étaient des petits vins, des petits 10°, des vins d’Aramon… Les vieux disent maintenant : « Aquel vin d’Aramon, èra pla bon ! » (ce vin d’Aramon, il était bien bon)… Bah, il n’était pas fameux, c’était de l’eau ; mais la mémoire, souvent, enjolive les choses.
L’autre côté de la rue de la Fontaine était occupé par une série de remises. Une remise, on y met de tout. A une époque, elles servaient aussi de caves. Dalichoux en avait une, Rigaud en avait une autre, Gély, Pioch… Je me rappelle y avoir vue de vieilles cuves, de l’époque où l’on trouillait le raisin. Il y avait des monte-charges en fer, avec des tas d’engrenages biscornus qui faisaient un bruit effrayant.
A l’intérieur de la cave, il y avait une sorte d’étage, le « trastet ». C’était un plancher sur lequel on entreposait les machines à sulfater, et les comportes en attendant les vendanges.
Quand la coopérative fut construite, vers 1948, tous ceux qui n’étaient pas bien équipés y ont adhéré. Pour faire autre chose que du vin qui se piquait, cette coopérative était absolument nécessaire. A partir de ce moment-là, toutes les cuves qui ne servaient plus à rien ont été détruites, et cela a fait de la place pour ranger la remorque, puis la camionnette ou la voiture, dans les remises.
Les maisons ont parfois deux portails : il y a d’un côté l’écurie, et de l’autre la cave qui faisait aussi remise.
Certaines remises étaient tellement grandes qu’on arrivait à jouer des pièces dedans. C’était pendant les années d’après guerre, jusqu’en 58. Il y avait une équipe du village qui montait des pièces, pour les jouer en deux ou trois séances. Chacun prenait sa chaise, et allait au spectacle. Quand c’était l’hiver, les femmes emportaient leur chaufferette remplie de braise, pour se chauffer les pieds… Et on écoutait. On riait, que c’était pas possible ! Par exemple, ma mère se rappelle avoir joué Fabiola… D’autres, des scénettes racontant des histoires de la région, toujours gratinées, et souvent en patois. C’était fabuleux.
Ça se passait dans cette rue de la Fontaine, et aussi chez Privat, dans ce qu’on appelait « la remise de Privat », qui était une cave.
Par la suite sont arrivés de l’extérieur certains spectacles. Souvent, c’était le curé qui les faisait venir : des prestidigitateurs, etc. Et puis il y a eu la J.A.C., la Jeunesse agricole catholique, dont je faisais partie. C’était l’abbé Gayraud, de Pégairolles, qui s’occupait de nous, à ce moment-là. Alors avaient lieu des concours de pièces. Il ne fallait pas que ça dépasse les quinze à dix sept minutes. On faisait dans le domaine troupier, comique, et quelques tirades classiques. Il y avait des éliminatoires dans chaque commune, ensuite ça devenait intercommunal, et enfin départemental.
Tout ça s’est arrêté, par manque d’éléments, au moment du départ des jeunes vers l’Algérie.
Aujourd’hui, des jeunes ont repris le système. Depuis trois ans, ils font un festival de théâtre dans les remises, sous le titre de « Remise à neuf ». Mais c’est maintenant sous forme semi-professionnelle.
Les champs étaient fauchés à la main, à la faucille. Ensuite, on dépiquait sur les aires. Voici une photo de 1948, avec notre cheval. Le dernier cheval du village a été celui de Charles Blaquière. J’en ai fait une peinture : il fallait quand même l’immortaliser !
J’ai connu quand la batteuse venait. C’était tout une fête. On prenait les grains de blé, on les mâchait et ça nous faisait du chewing-gum. Cette photo date de 1953, environ. On y voit mon père, et notre ouvrier espagnol, André Aparici, qui est resté 48 ans dans notre famille (il est enterré au tombeau familial, pas au cimetière). A côté, c’est le père Coste, qui a plus de quatre vingt dix ans.
Voilà, vers 1942, la traction animale. Là, nous allions à Clermont dans la voiture familiale à cheval. Là, on allait à Clermont, ou à Lodève de la même façon. C’est la route qui va vers Rabieux et Clermont.
Pendant les vendanges, vers 1930 (devant la cave construite en 1929)… On voit ma grand-mère en tenue de vendangeuse, mais finalement c’était juste pour la photo car elle ne venait pas tous les jours à la vigne. Le soir, ils trouillaient la vendange, et ils faisaient passer ça dans la cuve. Moi je n’ai pas connu ça, trouiller. Je suis né bien après.
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